A l’ère du numérique : pour une responsabilité partagée
L’article 14 de la loi no 2006-04 du 4 janvier 2006 portant création du Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) fait obligation à notre institution de publier, à la fin de chaque trimestre, un avis donnant des indications sur les dysfonctionnements constatés dans le secteur de l’audiovisuel et de recommander les mesures et actions requises pour les corriger.
Cette mission s’avère aujourd’hui d’autant plus nécessaire et complexe que notre pays entame une véritable révolution technologique grâce au basculement vers le numérique.
La généralisation des services de ce mode de diffusion, la multiplication des chaines de radios et de télévisions, la fourniture de nouveaux services, etc., représentent de nouveaux défis et imposent une redistribution des obligations pour toutes les parties impliquées dans le paysage audiovisuel sénégalais.
Pour sa part, le CNRA, est plus que jamais attaché à ce qui est au cœur de la régulation : le contrôle du respect de la qualité et aussi et surtout celui des règles déontologiques.
C’est à cet effet qu’au cours de sa séance du 15 octobre 2015 il a décidé de rendre public le présent avis pour, une fois encore, attirer l’attention sur les dérives répétitives et quelquefois graves qui émaillent les programmes de radio et de télévision.
Cette adresse est destinée à la fois aux éditeurs et diffuseurs de radio et de télévision, aux journalistes et animateurs d’émissions et, de manière générale, à l’ensemble de la société.
1. A L’ATTENTION DES ÉDITEURS
Comme le mentionnent expressément les cahiers des charges applicables aux
éditeurs et diffuseurs de programmes audiovisuels, le titulaire est responsable des émissions qu’il diffuse. Il est tenu au respect de ses engagements et c’est ce qui fonde et justifie l’auto saisine du régulateur et les procédures de plaintes reçues par le CNRA qui font l’objet de délibérations.
Au cours du troisième trimestre de l’année 2015 les relevés effectués par le service de monitoring du CNRA, les observations faites par ses membres et celles qui proviennent des usagers des programmes audiovisuels, s’accordent à constater que par négligence ou défaut d’équipement adéquat, de nombreuses chaînes de radio et surtout de télévision ont manqué à certaines de leurs responsabilités en:
portant atteinte à la dignité de la personne humaine, comme ce fut le cas avec la diffusion d’images de violences sur le procès Hissène HABRE dans les journaux de la RTS1 du 7 septembre 2015 à 20 heures et du 8 septembre 2015 à 13 heures;
– ne respectant pas la vie privée des invités ou en diffusant des propos diffamatoires ou injurieux, notamment au cours des émissions << Liici Rewmi >>de SEN-TV du 2 septembre 2015 et« Opinion» sur WALF TV du 6 septembre 2015 ;
– manifestant une certaine complaisance dans l’évocation de la souffrance humaine, comme par exemple la publication dans la presse et la diffusion
à la télé et sur les sites d’information d’images insupportables du drame survenu à Mina pendant le pèlerinage à la Mecque 2015 qui ont heurté l’opinion;
– faisant la promotion de partenaires commerciaux en l’occurrence une agence de voyage qui n’aurait enregistré aucune victime lors du drame de Mina, comme ce fut le cas, à plusieurs reprises, dans le journal du pèlerinage de Sud FM ;
favorisant la confusion entre l’information et le divertissement (stigmatisation de membres de la famille de Thione SECK dans un sketch de Walf Ngonal du 11 août 2015), ou entre l’information et l’opinion (« Wareef >>sur TFM du 30 septembre 2015) ;
– accueillant une publicité pour des produits ou services nuisibles à la santé ou non conformes aux exigences de la décence ou de la vérité et susceptibles d’induire en erreur le consommateur ou d’éveiller chez lui de
fallacieux espoirs. Ces dérives sont illustrées dans les nombreuses
émissions de radio et de télévision consacrées à la publicité accordée aux guérisseurs et aux produits de dépigmentation.
2. A L’ATTENTION DES JOURNALISTES
Le journaliste professionnel doit être conscient de ses responsabilités politiques et sociales vis-à-vis de la société tout en répondant au droit du public à l’information. Il est le seul habilité à animer les programmes d’information et il lui revient de les présenter dans la forme et dans les termes conformes à sa mission. La diffusion de propos injurieux et diffamatoires engage sa responsabilité. Le journaliste doit s’abstenir de prendre part à une publicité commerciale.
Mais c’est surtout son rôle dans la conduite des débats qui a été mis en exergue au cours de ce trimestre. Beaucoup d’observateurs et d’usagers ont déploré que des journalistes ou des animateurs faisant office de journalistes, aient oublié qu’ils doivent, en toute circonstance, garder la maîtrise de l’antenne ou qu’ils se soient dispensés de la rétablir lorsqu’elle était menacée. Les
émissions précitées « Liici Rewmi », sur SEN-TV, et « Opinion » sur WALF -TV, ont démontré que la passivité voire la complaisance des journalistes pouvaient servir à attiser une verve destructrice et prêter à des abus de langage.
3. RECOMMANDATIONS
Plutôt que de formuler de simples recommandations, le CNRA appelle tous les acteurs du paysage audiovisuel sénégalais à entreprendre une véritable révolution des esprits et des comportements parallèlement à la révolution numérique qui s’amorce.
Cette révolution passe d’abord par l’amélioration des équipements et des méthodes de travail et c’est à ce titre que le CNRA invite les éditeurs et diffuseurs à:
- assurer un meilleur encadrement des émissions en direct ou de téléréalité ;
- des programmes, la mise en place d’une signalétique et une meilleure protection des enfants et adolescents;
- renforcer la gestion de leurs programmes en s’attachant les services d’un responsable des programmes et en mettant en place, la commission de visionnage prévue par les cahiers des charges qui permet la classification;
- poursuivre et améliorer leur équipement technique de façon à faciliter le contrôle des émissions qu’ils diffusent, en se dotant d’un système de retardement de la voix, comme l’exige du reste l’article 10 la loi portant création du CNRA;
- contenir la publicité dans des limites telles qu’elle ne serve pas à promouvoir des produits faisant l’objet d’une interdiction légale ou réglementaire, ou à faire des enfants des prescripteurs des produits dont elle est l’objet ;
- conforter leurs journalistes dans leurs prérogatives de maîtres de l’antenne et leur devoir de recourir à des sources diversifiées et crédibles.
Les éditeurs et diffuseurs sont invités à prêter plus d’attention à la promotion de la diversité, au traitement des handicapés visuels et auditifs et à favoriser l’émergence d ‘une production locale de qualité pour promouvoir l’identité nationale et les valeurs publiques et générer de nouvelles ressources.
4. DE LA RESPONSABILITÉ PARTAGÉE
Les téléspectateurs et auditeurs doivent être les principaux bénéficiaires et les gardiens de la liberté de communication et de la diversité de l’offre audiovisuelle. Le CNRA ne peut que se réjouir de leur vigilance qui s’est exprimée notamment par la condamnation par l’opinion et les professionnels (Fédération sénégalaise des praticiens de la médecine traditionnelle, CORED) de l’invasion des écrans et des ondes par la publicité réservée à des charlatans, avec la complicité des médias, et la publication d ‘images jugées choquantes par les proches des victimes de Mina.
Pour toutes ces raisons, le CNRA reste particulièrement attentif aux observations et plaintes exprimées par les usagers des médias et conformément aux articles 17 et 18 de la loi qui porte sa création, il continuera à tout mettre en œuvre pour les examiner avec diligence et trouver les solutions qui s’imposent, tout en respectant la liberté d ‘opinion et d’expression garantie par la loi.
Pour l’Assemblée du CNRA
Mohamed Fadel DIA