AVIS TRIMESTRIEL (Janvier, février, mars 2015)

L’audiovisuel doit éviter de contribuer à l’exacerbation des vices et nuisances dans la société

Dans l’accomplissement de leurs missions, les médias audiovisuels se doivent de préserver l’intérêt public, de sauvegarder l’enfance et l’adolescence et les groupes vulnérables, mais aussi et surtout de rester attachés à la consolidation des valeurs fondatrices et des principes intangibles qui gouvernent la vie en société. Quand l’amplification inhérente à l’activité audiovisuelle s’applique à certaines «dérives» qui mettent à mal nos valeurs et nos croyances, elle conduit à la banalisation de l’inacceptable.

Les faits relevés et répertoriés dans le présent avis qui couvre la période du 01er janvier au 31 mars 2015, proviennent d’un échantillonnage des activités de monitoring des services du Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA).
Le CNRA, conformément aux dispositions de l’article 14 de la loi n° 2006-04 du 04 janvier 2006 portant sa création, a délibéré en sa séance du 02 avril 2015 sur les manquements et dysfonctionnements constatés dans les contenus audiovisuels diffusés dans l’espace public, durant le premier trimestre de l’année 2015.

I/ DYSFONCTIONNEMENTS ET MANQUEMENTS CONSTATES

1. La diffusion et la forte médiatisation de propos ou d’attitudes obscènes, injurieux et irrévérencieux pouvant porter atteinte aux Institutions de la République, à l’unité nationale et à la paix sociale.

Les débats relayés ces derniers temps par les médias audiovisuels se déroulent dans un climat pollué par des propos pour le moins discourtois, voire obscènes, injurieux et irrévérencieux. De tels propos imputables aussi bien à des personnalités publiques qu’à des citoyens, dans le cadre de débats ou de controverses économiques, politiques, sportives, sont de nature à porter atteinte à l’honneur, à la respectabilité et à la dignité de personnalités et acteurs de la vie politique, économique et sociale du pays.

2. Le fort élan médiatique autour de l’élimination de l’équipe nationale de football du Sénégal dès le premier tour de la Coupe d’Afrique des Nations 2015.

Sur les plateaux de télévision, plusieurs écarts de langage ont été notés, notamment :

– sur la TFM, le vendredi 30 janvier 2015, durant l’émission « Jakarlo », en l’absence de tout représentant de la Fédération sénégalaise de Football (FSF), un débat s’est engagé sur la responsabilité de ladite fédération l dans ce qui est considéré comme un échec cuisant venu s’ajouter à une longue série.

Des jugements ont été émis, en particulier sur la personne du Président de la Fédération sénégalaise de Football, qui, selon un des intervenants, « ne serait pas un homme chanceux », or dans le contexte socio-culturel sénégalais ce genre d’étiquette, stigmatisant, est considéré quasiment comme maléfique, donc dangereux ;

3. Le déséquilibre manifeste dans le traitement et les conditions de sélection des intervenants sur les plateaux.

Les animateurs, journalistes pour la plupart, font montre d’une certaine partialité selon que l’intervenant tient des propos à leur convenance ou non au détriment de l’objectivité et de la neutralité qui caractérisent l’exercice de la profession de journaliste. Ce traitement tendancieux est constaté même dans le temps d’antenne des intervenants qui est disproportionné en fonction des positions soutenues ou non par le présentateur.

4. La présence soutenue, dans des émissions de télévision, de publicités commerciales déguisées, au profit de produits supposés avoir des vertus aphrodisiaques, en des termes qui choquent les mœurs.

Sur la 2STV, l’émission « Thiowli Thiowli » diffusée le 06 février 2015 à 21H00, les vertus de ces produits sont vantées par l’animatrice relayée par un « tradi-praticien » à travers des émissions audiovisuelles, en violation des dispositions de l’article 10 du décret n°67-147 du 10 février 1967 instituant le code de déontologie médicale qui interdit toute forme de publicité dans le domaine médical.

5. La violation de l’obligation, pour les chaînes audiovisuelles, de veiller à la moralité, à la valeur éducative et informative de leur ligne programmatique.

Le CNRA constate pour le déplorer sur la plupart des chaînes audiovisuelles, la prolifération d’émissions sur des faits divers souvent maladroitement justifiées ou légitimées comme étant des miroirs fidèles de la société sénégalaise. Les éditeurs audiovisuels sont astreints à ne pas s’autoriser la diffusion d’émissions dont l’impact est ou peut être négatif sur certains publics, non préparés à les recevoir.

6. Le non-respect des horaires de diffusion des programmes audiovisuels.

Seule la diffusion des émissions d’information (journaux télévisés) semble répondre à l’exigence de la ponctualité dans la programmation. En ce qui concerne les horaires de démarrage quotidien des émissions, si certaines chaînes font manque de constance (souvent en ouvrant par une émission religieuse) d’autres, en revanche, font étalage d’une dispersion notoire. Il est donc quasiment impossible de repérer le démarrage réel de leurs programmes, caractéristique que l’on retrouve, de manière générale, dans la programmation des émissions, tout au long de la journée. Il existe de véritables difficultés quand on tente d’établir une grille de programme en se référant à la diffusion effective des émissions pour certaines chaînes de télévision.

7. L’absence de système de retardateur de la voix dans les régies audiovisuelles, qui favorise la diffusion en direct de propos grossiers et choquants à travers certaines émissions de faits divers proposées à des heures de grande écoute.

Récemment, le public de la 2STV a pu apprécier en direct les propos irrévérencieux, voire injurieux, d’un responsable politique à l’encontre d’une personnalité publique. Sur la TFM, aussi, un téléspectateur, via un appel téléphonique en pleine émission, a injurié en direct un des animateurs de l’émission « Waref ».

8. La forte médiatisation de dossiers judiciaires ou susceptibles de connaître une issue judiciaire, au détriment de la présomption d’innocence, de la dignité et de l’honneur des personnes mises en cause.

Il est de plus en plus noté une multiplication de plateaux audiovisuels dans lesquels les invités traitent allègrement de sujets portant sur des dossiers de justice en cours d’instruction ou en voie de délibération.

II/ RAPPELS ET RECOMMANDATIONS

Face à de tels manquements, qui constituent une violation de la règlementation en vigueur au Sénégal dans le domaine de l’audiovisuel, le Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel recommande aux acteurs des médias :

1. de s’abstenir de relayer des propos ou comportement discourtois, voire obscènes, injurieux et irrévérencieux susceptibles de porter atteinte à la cohésion sociale, à la stabilité du pays, à l’honneur et à l’intégrité de la personne humaine ainsi qu’à la crédibilité des Institutions de la République ;

2. de ne pas porter ou amplifier des jugements ou des propos désobligeants pouvant porter atteinte à la dignité et à la respectabilité des responsables en charge de l’organisation d’événements inhérents à des enjeux sportifs, socio-économiques ;

3. de faire preuve de plus de rigueur et de professionnalisme dans la conduite d’émissions, de débats sur plateaux avec des invités, et de réserver le même traitement à tous les participants présents sur le plateau de télévision, quelles que soient leurs fonctions, responsabilités ou prérogatives sociales ;

4. de veiller à la nécessité de préserver le public de pratiques à risques pour la santé publique conformément aux dispositions de la loi n° 83-20 du 28 janvier 1983 relative à la publicité. Le code de déontologie médicale n’accepte aucune forme de publicité chez les professionnels du secteur. Les émissions de télévision au profit de produits supposés avoir des vertus aphrodisiaques, exposent le public à des risques d’ordre sanitaire et les animateurs à des poursuites pénales ;

5. de faire preuve d’une créativité plus diversifiée et plus objective pour le sens collectif, qui respecte, renforce la liberté d’opinion, d’expression et d’information inhérente aux défis sociétaux de toute démocratie ;

6. de mettre en place des grilles de programme et de respecter, le plus rigoureusement possible, la ponctualité dans la diffusion des contenus, conformément aux dispositions des cahiers des charges applicables aux éditeurs de programmes audiovisuels ;

7. de s’équiper obligatoirement d’un système de retardement de la voix, conformément aux dispositions de l’article 10 de la loi n°2006-04 du 4 janvier 2006 ;

8. de respecter les conditions dans lesquelles le traitement médiatique des affaires judiciaires devrait s’inscrire conformément à l’article 18 du cahier des charges.

Le Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel veillera à l’application stricte des recommandations formulées, afin que des correctifs adéquats et durables soient apportés aux manquements constatés.

Pour l’Assemblée du CNRA

Le Président

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