Avis Trimestriel (Octobre, novembre, décembre 2014)

L’ESPACE PUBLIC TOUJOURS AGRESSE DANS LES MÉDIAS

Le Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel, conformément aux dispositions de l’article 14 de la loi n° 2006-04 du 04 janvier 2006 portant création du CNRA, a délibéré en sa séance du 08 janvier 2015 sur les manquements et dysfonctionnements persistants constatés dans les diffusions audiovisuelles sur l’espace public, durant le dernier trimestre de l’année 2014.
Le présent Avis recense quelques uns de ces manquements, à titre d’illustration de comportements inacceptables dans la construction et la consolidation d’une société démocratique, respectueuse des diversités culturelles, politiques et sociales caractéristiques du Sénégal.

I/ DYSFONCTIONNEMENTS ET MANQUEMENTS CONSTATES

1- Déséquilibre dans le traitement de l’information par l’audiovisuel public, notamment la RTS1, en violation de l’article 15 de la loi n°2006-04 du 04 janvier 2006.

La chaîne de télévision publique s’est abstenue de couvrir le meeting tenu à Dakar le 21 novembre 2014 par le Front populaire pour la Défense de la République (FPDR) qui regroupe des partis politiques légalement constitués.
Par cette attitude, la RTS a failli à son obligation de respect des principes d’accès équitable des partis politiques, des syndicats et des organisations reconnues de la société civile, aux médias audiovisuels, dans les conditions fixées par les lois et règlements en vigueur.
Ce manquement est une violation flagrante de l’article 8 de la Constitution de la République du Sénégal, qui consacre le droit du public à une information plurielle.

2/ Diffusion et forte médiatisation de propos séditieux d’hommes politiques pouvant porter atteinte aux Institutions de la République, à l’unité nationale et à la paix sociale.

La Télévision et la radio du groupe Walfadjri ont diffusé en direct et en intégralité le meeting du Front populaire pour la Défense de la République (FPDR) le 21 novembre 2014, au cours duquel l’ancien Président de la République, Me Abdoulaye WADE, a tenu des propos séditieux, susceptibles de remettre en cause l’ordre constitutionnel par un appel à « une transition au Sénégal ». L’auteur des propos est allé, jusqu’à fixer des échéances pour l’organisation d’une élection présidentielle anticipée.
La diffusion et la rediffusion de tels propos, par différents médias audiovisuels, constituent une violation grave des dispositions de l’article 13 du Cahier des Charges qui interdit aux médias audiovisuels « la programmation et la diffusion d’émissions contraires aux lois et règlements, à l’ordre public, aux bonnes mœurs, à la sécurité publique et au respect de la dignité de la personne humaine… »

3/ Utilisation des médias audiovisuels à des fins de règlements de comptes personnels.

Dans l’émission « TEUSS » du 12 novembre 2014, le journaliste/animateur de Zik FM s’en est pris à la députée Madame Ndèye Awa MBODJ, que Monsieur Ahmet AIDARA dépeint comme « une femme agressive et violente, ne défendant pas les intérêts » du département de Guédiawaye.

4/ Diffusion de propos « ethnicistes » et stigmatisants.
Dans sa chronique sportive du 9 octobre 2014, sur la RFM, le journaliste Malal Junior DIAGNE a parlé de Monsieur Alain GIRESSE, en usant d’un langage qui frise le racisme, parce que faisant référence à la couleur de peau de l’entraîneur de l’équipe nationale de football.
Dans l’émission « TEUSS » du 20 octobre 2014, de Zik FM, l’animatrice Soda Marième GUEYE demande à son interlocuteur s’il était un « Làkk kat». Elle a ensuite pris isolément un groupe ethnique de la composante nationale, qu’elle a qualifié de « gens prompts à menacer de représailles mystiques, ceux qui leur portent tort ».
5/ Griotisme et flagornerie dans de nombreuses émissions.
Le CNRA a constaté :
– une tendance à la flagornerie, à l’autoglorification entre confères et/ou collègues d’un même organe de presse ;
– une tendance à la flatterie et au racolage en direction de personnalités et structures publiques ou privées dont les mérites prétendus ou avérés n’ont pas vocation à être vantés sous forme de réclame/ publicité à l’antenne d’une radio ou sur un plateau de télévision ;
– une propension à l’autosatisfaction qui « pollue » antennes et plateaux de télévision, dans des messages sans intérêt pour le public.

6/ Revue de presse dévoyée

Le CNRA a constaté la récurrence et la quasi généralisation d’un certain style de revue de la presse qui, dans le ton et la théâtralisation bouffonne comme dans le choix des sujets et titres saillants de la presse écrite, prend parfois les allures de règlements de comptes avec des personnes, des personnalités et des institutions publiques et privées.
7/ Etalage et distribution des billets de banque dans des manifestations retransmises à la télévision.

8/Au titre de sa mission de veille sur le contenu des messages destiné au jeune public,

Le CNRA a constaté :
– Une utilisation abusive et inappropriée d’enfants et d’adolescents, dans des compétitions télévisées à buts essentiellement publicitaires et commerciaux.

II/ RAPPELS ET RECOMMANDATIONS

Face à de tels manquements, qui constituent des violations des dispositions des textes législatifs et des cahiers des charges en vigueur au Sénégal dans le domaine de l’audiovisuel, le Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel formule les recommandations suivantes.

1- Le Conseil National de Régulation rappelle aux médias audiovisuels qu’aux termes des alinéas 2 et 4 de l’article 7 de la loi n° 2006-04 du 4 janvier 2006, ils doivent s’appliquer au respect de l’équilibre dans leurs programmations.
Le Régulateur exhorte les médias au respect des règles d’éthique et de déontologie dans le traitement de l’information et les invite à éviter de médiatiser et de rediffuser des propos portant atteinte à la crédibilité des Institutions, à la vie privée et à l’honneur des citoyens, ainsi que les incitations et appels à la violence ;

2- Le traitement des questions touchant à la diversité culturelle et linguistique et aux langues nationales doit faire l’objet d’une attention particulière.

3- La position qu’un journaliste ou animateur occupe dans un média audiovisuel ne doit pas servir de support au règlement de comptes. Les journalistes et/ou animateur sont invités à éviter d’utiliser les antennes pour porter des jugements de valeur sur un citoyen.

4- Le Sénégal est un pays de diversité et les us et coutumes de chacune de ses composantes méritent d’être connus des autres sans caricature, ni mépris. Le respect des spécificités culturelles de toutes ces composantes de la Nation est une disposition constitutionnelle.

Le CNRA rappelle que le Cahier des charges fait obligation au titulaire de licence d’exploitation et de diffusion, de s’abstenir d’encourager des comportements discriminatoires fondés sur la race, l’ethnie, le sexe, l’âge, la religion ou la nationalité. C’est une exigence fondamentale pour la cohésion sociale et l’entente cordiale entre les différentes communautés. Les médias doivent se garder de la diffusion de faits et propos allant dans une direction opposée aux principes d’équilibre et de cohésion nationale. Cette pratique est à bannir des médias, qui consiste à désigner d’une appellation stigmatisante, les personnes qui, par leur nom et/ou leur ethnie ne sont pas des Wolofs.

5- La pratique dans les médias audiovisuels s’éloigne souvent des règles d’éthique et de déontologie qui interdisent aux professionnels des médias de rechercher ou recevoir un quelconque avantage du fait de la publication ou de la suppression d’une information.

De plus, il est interdit à ces professionnels de confondre le métier de journaliste avec celui de publicitaire ou de propagandiste. Ils ne doivent accepter aucune consigne directe ou indirecte des annonceurs.

6- La Revue de presse dans les radios et télévisions est un genre rédactionnel classique. La théâtralisation dont elle est l’objet dans des médias audiovisuels prend parfois des allures aux antipodes du code déontologique qui régit ce genre rédactionnel. Le CNRA rappelle aux diffuseurs la nécessité du strict respect des normes dans ce domaine.

7- Les télévisions doivent proscrire la diffusion de programmes de nature à promouvoir des pratiques et pathologies sociales néfastes et corruptogènes notamment des liasses d’argent sous forme de colliers offerts à des chanteurs ; des billets de banque maltraités et froissés, jetés à même le plancher à l’occasion de manifestations religieuses ou festives.

L’État, les diffuseurs, les citoyens, les leaders d’opinion, comme les artistes et animateurs de spectacles doivent agir de concert pour bannir de telles pratiques aussi indécentes que vulgaires.
Les médias audiovisuels doivent éviter la diffusion de scènes d’exhibitionnisme et de gabegie dont l’indécence jure avec la situation de précarité économique de la majorité des Sénégalaises et Sénégalais. Il s’agit notamment des scènes de distribution d’argent à des artistes, chanteurs et autres prestataires ou communicateurs traditionnels.
Le CNRA en appelle au sens de la retenue et de la responsabilité de tous particulièrement de ceux qui s’adonnent à ces pratiques lors de manifestations relayées par les médias.

8 – Le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel recommande aux médias audiovisuels de ne pas mettre les enfants dans des positions de compétitions à la fois dévalorisantes et aliénantes, qui impactent négativement leurs comportements et les soumettent à des pressions psychologiques intenses, inacceptables et intolérables car préjudiciables à leur équilibre et à leur épanouissement.

Les médias audiovisuels doivent veiller aux règles qui permettent de protéger les enfants participant à des émissions audiovisuelles afin de prévenir tout traumatisme préjudiciable à leur épanouissement personnel et/ ou à leur équilibre mental. Les animateurs de ces émissions doivent assure un encadrement pédagogique ou psychologique pour accompagner ces enfants et adolescents.

Dans le même ordre d’idées, la satisfaction de l’obligation de signalétique ne se confond pas à celle de programmer la diffusion de certaines émissions aux contenus sensibles en dehors des heures de grande audience.

Le Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel accordera une attention particulière à la mise en œuvre effective de ces recommandations par tous les acteurs du secteur pour corriger les manquements constatés.

Pour l’Assemblée du CNRA

Le Président

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