D’où l’intérêt et l’importance de s’entourer de garantie de vérification et de recoupement si la situation l’exige.
Ce n’est pas chercher à discréditer un confrère que de reprendre l’investigation à partir des informations qu’il a données quand celles-ci paraissent à un journaliste au flair professionnel comporter des erreurs. C’est à cette aune que se reconnaissent les vrais professionnels qui ne marchent pas du tout sur des brisées en décidant de « réenquêter » autour de faits annoncés par d’autres, mais comportant des failles qui intriguent ou alors trop gros pour ne pas qu’on les repasse à la moulinette.
De ce point de vue, Africa Check est en train de promouvoir une démarche non pas nouvelle, mais qui revalorise la précaution professionnelle dans la collecte comme dans le traitement de l’information. Les informations donnée par le site www.wabitimrew.net sur les homosexuels sénégalais réfugiés en Belgique a ceci de spécieux que l’organe semble avoir contacté les interlocuteurs adéquats et obtenu d’eux des chiffres qui ne semblaient pouvoir souffrir d’aucune contestation. Le recours à une troisième source, la fameuse « triangulation » ou recoupement, aide à trouver la « vérité vraie ». Dans l’asile accordé aux homosexuels sénégalais en Belgique, la source pour le recoupement aura été le service Communication, Information et Presse du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (Cgra) de la Belgique qui interrogé par Africa Check a répondu que « c’est bien le Cgra… qui se charge de l’évaluation de toutes les demandes d’asile introduites en Belgique ». Et Damien Dermaux du Cgra a déclaré que l’information selon laquelle « 1839 Sénégalais ont reçu leur titre de réfugié après avoir été reconnus comme homosexuels » est fausse. « Ces chiffres sont tout simplement fantaisistes ! »
Avoir repris une information fausse d’un organe de presse tiers ne met pas « le repreneur » à l’abri des déconvenues. D’où l’intérêt et l’importance de s’entourer de garantie de vérification et de recoupement si la situation l’exige ; ou, pour dire le mot, si on a des doutes bien légitimes. C’est cette prudence qui a manqué devant l’information du site www.wabitimrew.net. Alors, tout le monde est averti ; la leçon vaut pour tout journaliste.
Il en était ainsi, en février 2013, à l’annonce de la démission d’El Hadj Malick Gackou de son poste de ministre du Commerce (mais démentie par le secrétariat général du Gouvernement du Sénégal). La nouvelle a été annoncée et M. Gackou saisi par des journalistes pour vérification. Le démissionnaire confirme ; mais un organe de presse plus averti contacta le secrétariat général du gouvernement qui répondit, (de même que le porte-parole du gouvernement à l’époque Abdou Latif Coulibaly) que la lettre de démission de Gackou ne lui étant pas encore parvenue, son auteur ne pouvait encore être considéré comme ayant quitté le gouvernement. Oui, la source officielle avait bien raison ; les journalistes avaient omis d’interroger la fameuse troisième source, le chaînon manquant pour que l’information fût « complète, exacte et intéressante ».
De même que le recours à une diversité de sources ne garantit pas forcément l’équilibre d’une information. Et la mythique Bbc l’aura compris. Dans un document publié en juillet 2014, « Trust Conclusions on the Executive Report on Science Impartiality Review Actions », le BBC Trust, organe de décision indépendant de la Bbc, dont la mission est d’agir dans l’intérêt des téléspectateurs qui paient leur redevance, annonce que dans le domaine scientifique : « L’impartialité dans la couverture médiatique ne consiste pas simplement à faire état d’un large spectre de points de vue ».
En effet, poursuit le document, « la Bbc a été critiquée pour la façon rigide avec laquelle ses journalistes appliquaient le principe de l’impartialité entre deux vues opposées et se sentait obligée, sur n’importe quel sujet et n’importe quelle controverse, de donner la parole de façon identique aux deux camps, d’une part, les chercheurs reconnus par leurs pairs pour le sérieux de leurs travaux et dont les résultats ont été confirmés par d’autres équipes et, d’autre part, des scientifiques marginaux ou des charlatans qui font passer leurs convictions idéologiques avant l’objectivité scientifique ».
« On ne peut pas, chaque fois que l’on parle d’astronomie, donner la parole à ceux qui croient que la Terre est plate ! », renchérit Pierre Sormany, éditeur du magazine Québec Science et ancien rédacteur en chef de l’émission Découverte.
Et le rédacteur en chef d’Africa Check nous a donné un résumé d’un enseignement intéressant sur la question de l’équilibre des sources : « L’idée de faux équilibre dans le traitement de l’info a été défendue par Nachama Brodies, journaliste sud-africaine, responsable du TRI Fact (Formation, Recherche et information) à Africa Check. Dans un (…) tweet, elle soutenait que quand un journaliste, par souci d’équilibre, met l’avis d’un expert à côté de celui d’un « inexpert », son article n’est pas équilibré. Elle s’est, en effet, appuyée sur une étude de la direction de la Bbc consacrée à ce sujet en juillet 2014. Cette étude recommandait aux journalistes, par respect aux contribuables (qui versent des redevances annuelles à la Bbc), de ne pas inviter les « inexperts » sur le plateau pour parler de sujets qui ne relèvent pas de leur compétence, même s’ils sont porte-parole ».
A méditer par ceux qui varient, diversifient leurs sources, recourent sans imagination à « Dakarologue en sénégalogie » croyant assurer un bon équilibre.
Post-scriptum : Je profite de cette édition d’Avis d’inexpert pour souhaiter à tous et à toutes une bonne année 2016 ; que l’année qui point à l’horizon vous apporte, à vous tous et toutes, plein de ces petites (et pourtant grandes) choses avec lesquelles se construit le vrai bonheur.